Poèmes by Saadi Yousef
Translated by :
Rachid Mansoum
L’échéance
Dans la chambre
sur la terrasse du toit face à la mer,
le pirate à la retraite prépare son repas --
du pain
une tranche de viande
une bouteille de vodka…
claque sa porte
et de sa boîte en ébène il sort ses grands livres
ses cartes
ses ports.
Maintenant, il est heureux
et seul.
Mais sa poitrine palpite
et ses yeux sont pareils à de petits nuages.
Qui frappe à la porte?
Qui vient ici à sa recherche jusqu’à cette chambre sur le toit?
Le pirate à la retraite ferme sa boîte d’ébène
et les secrets de ses grands livres
ses cartes
ses ports
vacille, trébuche pour avaler l'odeur de la mer.
C’est peut- être l’aveugle qui frappe à la porte
l’aveugle déguisé en femme
venu en ami le soutenir maintenant de son temps est révolu?
Beyrouth 14.4.1993
Le château de Hamlet
La tranchée à l’eau verte
Que sillonne les brindilles et les oiseaux,
Les chaussures des touristes
Et des spectres de marins naufragés…
Je la traverse aussi
Pourtant je caresse les traverses du pont
Moles et détrempées
Eau couleur de bois
Le sang habite le sang
Le château habite le château
Mais en ce moment tu ne caresse pas un bois ou une pierre
Tu n’entreras pas dans l’Histoire
Tu ne réjouiras pas des peintures exposées au hall
Tu n’entendras pas la mer clapotant
En ce moment tu te replies
Comme un escargot se refugiant dans sa coquille
Tu entendras le bruit des pas dans une nuit lointaine
À l’haleine étouffée,
À l’escalier qui mène aux labyrinthes
Ainsi, prends garde !
Londres 7/9/2002
Cinq Croix
Nous nous sommes arrêtés dans cinq escales et nous n’avons pas quitté des yeux un souvenir.
Nous n'avons pas tremblé là, ou saoulé, ou pincé une guitare.
Cinq fleuves de sable sur la guitare.
Cinq croix faites de silence:
tu es triste;
J’essuie la poussière du monde brisé tes cils.
Tu es naïve;
dans notre désert tu espères mettre la voile.
Tu es fatiguée;
tes cheveux étendent l’ombre entre l'éveil et de la pluie.
Tu es seule
comme si nous n'avons jamais frémi, ou sommes saoulés,
ou avons pincé une guitare.
La soif amère sur tes lèvres, des voyages dans tes yeux,
tu es une floraison de jeunes arbres sombres dans l'obscurité.
Je touche ma voix lorsque je touche tes feuilles.
O cinq escales sans un souvenir . . .
O cinq fleuves dans la guitare . . .
O cinq croix faites de silence . . .
Ne me laissez pas, ce soir, crucifié sur les murs.
Je vais écrire comme un pianiste
La neige pénètre d’une fissure de ma fenêtre
Le silence palpite comme le piano
Je me retourne :
L’instant
L’instant…
La terre écoute la neige
Et l’horizon est tout blanc
La poésie jaillit comme le piano
Londres 24-3-2008
Les abeilles me rendent visite
Une abeille a atterri sur ma chemise
Puis elle est venue une autre…
Les fleurs étaient épanouies
L’hêtre et le jardin se sont éveillés
Comment ces étranges abeilles sont-elles venues jusqu’à moi ?
Ma table est modeste
Du pain
Du fromage
Et un verre du vin français
Est –il l’objet de leur désir ?
L’étrange est que les abeilles sont collées à ma chemise…
Et elles s’agitent
Savent-elles que l’univers est sous la chemise…
Le rayon du miel
Et le destin de l’aventure
Sont sous la chemise
Et que le pollen s’agite ?
Londres 8-8-2009
Chatt Al-Arab
Rêve 1.
Dans les nuits de tourments et de chagrins
Ses eaux gonflent l’oreiller
Et l’on sent comme l’odeur de la mousse
Avec des pas verts
Pour toucher ma paume
Juste avec un rameau de jasmin :
Réveilles-toi…
Je suis le fleuve
N’aimes-tu pas ? Tu ne veux pas atteindre Bassora
Sur les ailes de l’oreiller ?
Rivière,
Je suis éveillé, éveillé.
« Sur mon oreiller une goutte
Qui a la saveur de la mousse… »
C’est Bassora.
Rêve 2.
Les cieux m’ombragent. Les cieux bas m’ombragent et les moineaux de mon grand-père tiennent ma main, son visage ombragé avec une croix rouge. Au loin le lustre d’eau et mon grand-père tiennent ma main : allons plus vite avant que les oiseaux partent. Allons plus vite avant que la marée vole nos filets… sur l’herbe goutte de nos filets. Dans le brouillard de rivière apparait comme les navires verts, comme les navires rouges, comme les navires bleus qui ont navigué avant que l’eau ne soit montée.
Rêve 3
Sur les côtes d’Al-Zain l’aube s’écroule
Des dattiers ont porté des plumes pourpres
Et dans mes cheveux, il y avait des étoiles, de la chaleur et de la pluie
Je nage vers l’autre rive
Pour atteindre Ahwaz
Et dans Ahwaz l’aube s’écroule
Et le palmier portait des plumes pourpres
Et l’eau dans Karoun a le même goût que dans Bassora
Sidi Belabbes 4-5-1969
Nature
En octobre
A Paris,
Les arbres recouvrent les trottoirs poussiéreux
D’or
Le vent s’apaise
Coule avec l’or
Les forêts sont des correspondances
Un courrier m’est venu de la campagne
Qui m’annonce : je suis l’oublié
Je suis ici, dans ma demeure, en or
Et en poussière…
Paris 05-10-2007
Le monde n’est pas ce qu’il est
Si j’avais la lampe de notre seigneur Aladin et j’avais invoqué un Djinn je lui demanderais trois vœux
1. le cheval du vent
2. le livre
3. le canon laser
Tu me répliques (sûrement !) j’ai compris le cheval volant et les livres mans le canon
Le canon laser ?
Comme si tu étais l’excellence générale Tommy Frank
***
Les oiseaux ne tarderont pas à dormir. Sur muraille, une pigeonne s’absentera aussi. L’herbe est devenue bleu. Aux entrelacements de l’horizon, le lac scintille, son eau crépusculaire est au couleur de plomb. Mon jardin s’apprête au sommeil ...les corolles délicates se replient. Les couleurs perdent leurs éclats. Le dernier cri des morillons. Mon miroir est opaque.
***
Jamais!
Mon ami ne m’a dit quelque chose à propos du cheval du vent. Qu’a t-il pensé des poètes ? Vanité, l’idiotie…peut-être. En revanche, je suis au comble de ma raison : le cheval volant c’est mon ultime échappatoire. T’ai jamais raconté ce que m’ont fait les aéroports des capitales ? T’ai-je jamais dit comment j’ai été séquestré pendant des jours, comment j’ai été soumis à des interrogatoires
***
Vient le soir…
Mais le soir nous surprend, instantanément, sombre comme s’il était une roche de basalte noire se jetant à notre cou pour nous étrangler et étouffer notre souffle dans moment. Les rêves nous guideront ainsi qu’un chameau. Nous serons des morts ou des bergers…
Dans le désert : les loups tentent de monter à l’arbre. Peut-être, ils les grimperont. Où est notre salut ? Dans la nuit l’ombre de la nuit.
***
Jamais !
Mon ami n’a songé aux hypothèses du livre. Comme si le fait de citer le livre est le livre ou l’écriture… nous sommes une tribu nous n’avons rien fondé pour que nous soyons .Notre pays s’est érigé sur du sable et des fleurs de ce sable nous sommes venus. Des odeurs nous emporterons loin de nos origines et nous jetterons sur une terre sans terre et nous déroberons nos dernières feuilles vertes.
Pauvres que nous sommes
Sans le livre
***
A l’aube, fou parmi les oiseaux aventurant dans les premiers gazouillements je me suis éveillé ce matin pareil à tous les jours. Les bois étaient dormants, j’aperçois entre les branches du châtaignier les premiers bourgeons enfermés sur leurs secrets. Les pigeons regagneront leurs nids et l’écureuil sursaute du haut d’un grand cerisier. Là-bas, dans l’aéroport militaire atterrit un avion. Est-il venu des environs de Bassora ?
L’olivier a surmonté les épreuves de l’hiver et a argenté ses feuillets. J’ai préparé la table à ceux qui ne méritent pas l’éloge.
***
Et tu me demanderas sans doute : et les canons ?
-tu veux dire le canon laser ?
-assurément
-crois les informations ?
Je veux dire penses-tu qu’un homme distrait et tremblant comme moi va porter un canon ?
-mais c’est ce que dit ton poème …
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***
Oui !
Et puisque je n’excelle pas le tir, je vais bâtir la rampe de lancement dans les élévations du désert hadramawt
D’où je donnerai les ordres aux djinns. Les champs de bataille (mille parmi tous les cordonnés) la huppe va me les apprendre.
Les feux
(Sorte de rayons bleus)
Tourneront comme les abeilles…
Prenez garde !
Quiconque a caché la vérité sera la cible…
Prenez garde !